L’ambition

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Réflexion sur l’un des plus puissants moteurs de l’humanité

Introduction

« Ceux qui me traitent d’hypocrite et d’ambitieux me connaissent peu : je ne réussirai jamais dans le monde, précisément parce qu’il me manque une passion et un vice, l’ambition et l’hypocrisie. La première serait tout au plus pour moi de l’amour propre piqué : je pourrai désirer quelquefois être ministre ou roi pour me rire de mes ennemis ; mais au bout de vingt-quatre heures je jetterais mon portefeuille et ma couronne par la fenêtre[1]. » A tout seigneur, tout honneur. J’ai choisi CHATEAUBRIAND pour ouvrir cette planche.

Le mot « Ambition » vient du latin « Ambitio », aller autour, de amb, autour, et ire, aller. Il trouve son origine à l’époque de la Rome antique lorsque les candidats à une charge publique sillonnaient les campagnes de Rome pour solliciter les suffrages des citoyens. Ce désir d’être élu, et partant, d’obtenir une parcelle de pouvoir, a fini par signifier le désir d’acquérir de la gloire et des honneurs. Comme l’amour, l’ambition est l’un des grands moteurs de l’humanité.

De fait, la définition de l’ambition, généralement dans un sens péjoratif, est la recherche immodérée de la domination et des honneurs[2]. Elle est la manifestation d’un amour de soi débridé. Ainsi, ne parle-t-on pas d’ambition démesurée, d’ambition sans bornes, d’ambition effrénée, d’ambition illimitée, d’ambition insatiable… Ne dit-on pas de l’ambitieux qu’il brûle d’ambition, qu’il est dévoré ou rongé par l’ambition. L’ambitieux a les dents longues ; elles rayent le parquet. L’ambitieux n’hésitera pas à se servir des autres pour accomplir ses objectifs : « la fin justifie les moyens ».

Pour autant, l’on sait bien que l’ambition ne peut être perçue que sous son côté obscure. L’ambition peut aussi être définie comme le désir d’accomplir, de réaliser de grandes choses, en y engageant sa fierté, son honneur. Nous parlons alors d’ambition généreuse, de grande ambition, d’ambition héroïque, d’ambition légitime, d’ambition louable.

L’ambition nous parle tout à la fois de l’orgueil et de l’humilité. L’ambition néfaste sépare, divise, oppose, isole quand la Fraternité rapproche, réunit, rassemble. Le Franc-Maçon doit répandre la lumière et s’efforcer de rassembler ce qui est épars (l’union). Il fait usage de la raison, de la volonté pour modérer ses passions, au nombre desquelles figure l’ambition.

Avec l’ambition, nous avons donc affaire à un terme ambivalent susceptible de porter le meilleur comme le pire.

Nous allons donc nous arrêter sur ces deux aspects de l’ambition et voir comment le Franc-Maçon peut se détacher de cette dévorante ambition profane.

Nous nous pencherons dans un premier temps sur l’ambition néfaste (profane), dénoncée de longue date pour ses conséquences souvent tragiques (I.). Nous examinerons ensuite ce que peut signifier l’ambition pour un Franc-Maçon, engagé dans la voie initiatique (II.). Puis nous verrons les outils et symboles que l’Apprenti Maçon (puisque nous sommes au 1er degré) a à sa disposition pour s’affranchir de cette ambition profane destructrice en la transformant en détachement (III.).

I. « L’orgueil et l’ambition m’ont précipité » – La dénonciation multiséculaire des dangers de l’ambition

« L’orgueil et l’ambition m’ont précipité » : ainsi s’exprime Satan, l’ange déchu après sa révolte contre Dieu, dans « Le Paradis perdu », le chef d’œuvre du poète anglais du 17ème siècle, John MILTON (Monologue de Satan au livre IV)[3].

De l’aveu même de « l’Adversaire[4] », l’orgueil et l’ambition ont entrainé sa chute et sa déchéance du Royaume céleste.

Par ailleurs, notre F \ MP évoquait récemment la légende biblique de la Tour de Babel : Dieu punit les hommes pour leur ambition démesurée visant à bâtir et à dresser vers les cieux une immense tour, comme une provocation à la divinité même. Dieu disperse les hommes et multiplie les langues[5]

L’affaire est sérieuse ! Examinons cela.

Qu’est-ce donc que l’ambition sinon une volonté de puissance ? Il s’agit là d’un des plus puissants moteurs de l’histoire, de ses plus grandes réalisations comme de ses pires concrétisations, les deux étant fréquemment mêlés. Mais pourquoi l’ambition ? Pourquoi cette volonté de puissance ? Pour se distinguer du commun des mortels, pour la gloire, nous ont expliqués les plus illustres penseurs et écrivains.

Le sermon sur l’ambition[6] de l’évêque et orateur français Jacques-Bénigne BOSSUET (1627 – 1704) constitue l’une des réflexions les plus abouties en ce domaine. Prononcé le 16 mars 1662, ce sermon contient tous les éléments caractérisant l’ambition. Ecoutons BOSSUET : « Son présent (à la fortune) le plus cher, le plus précieux, celui qui se prodigue le moins, c’est celui qu’elle nomme puissance. C’est celui-là qui enchante les ambitieux (…) » / « (…) la puissance est le principe le plus ordinaire de l’égarement ; qu’en l’exerçant sur les autres, on la perd souvent sur soi-même (…) ». / « Et c’est sans doute ce dessein de se distinguer qui pousse l’ambition aux derniers excès ».

Le philosophe stoïcien SENEQUE (4 av. JC – 65) ne disait pas autre chose il y a 2000 ans quand il écrivit sa lettre sur l’utilité des préceptes et sur l’ambition.« Qui poussa C. César à sa perte, et en même temps à celle de la république ? La vaine gloire, l’ambition, le désir immodéré de monter au plus haut rang ». / « (…) Ainsi le principal aiguillon de nos folies, c’est la foule des admirateurs et des témoins. Voulez-vous ôter à l’homme l’aliment de ses passions, ôtez-lui les moyens d’en faire montre. L’ambition, le luxe, le dérèglement ont besoin d’un théâtre ; on les guérit en les reléguant dans l’ombre ».

La vie extraordinaire, pleine de bruit et de fureur, de l’Athénien ALCIBIADE (Vème siècle avant J-C) relatée par l’Académicienne Jacqueline de ROMILLY, et avant elle par THUCYDIDE, PLATON ou encore PLUTARQUE, est l’exemple même des errements de l’ambition[7]. Alcibiade, écrit-elle, « a incarné, et poussé à l’extrême, l’image des ambitions personnelles prenant le pas sur l’intérêt commun. » (p. 11). Elle évoque « (…) cette ambition qui va le mener aux plus belles réussites et aux pires désastres. » (p. 60). Je ne m’étendrai pas sur les incroyables péripéties d’Alcibiade, ni sur les leçons qu’elles contiennent pour notre démocratie mais je vous conseille la lecture de ce petit ouvrage passionnant.

A l’instar d’Alcibiade, les grands conquérants et/ou les grands tyrans de l’histoire (Alexandre, Jules César, Napoléon, Hitler, Staline…) étaient probablement plutôt guidés par une ambition sans borne que par un sage détachement… Victor HUGO disait ainsi de Napoléon : « Il voulait, dans les frénésies / De ses vastes ambitions, / Faire devant ses fantaisies / Agenouiller les nations[8]. ».

Cherchant à arracher l’homme à ses superstitions et ses erreurs en promouvant la raison et l’expérience, les philosophes du Siècle des Lumières ont eux aussi dénoncé les effets négatifs de l’ambition.

Philosophe des Lumières trop méconnu et ami de DIDEROT, Paul Henri THIRY D’HOLBACH (1723 – 1789) a participé à l’aventure de l’Encyclopédie. Dans l’un de ses ouvrages intitulé « Catéchisme de la nature » composé en 1765 et publié en 1790, il utilise un jeu de questions/réponses pour évoquer l’ambition : « Comment s’appelle le désir du pouvoir ? On l’appelle Ambition / L’ambition n’est-elle pas un mal ? (…) L’ambition est un mal lorsqu’elle n’a pour objet que le pouvoir injuste, la licence et la tyrannie, ou lorsque pour se satisfaire elle nous fait employer des moyens criminels et désapprouvés par la raison[9]»

Philosophe des Lumières et Franc-Maçon, notre Frère HELVETIUS (1715 – 1771), a pour sa part également écrit quelques charges lapidaires contre l’ambition : « L’erreur montra aux ambitieux la couronne et le bonheur au sommet d’un mont de cadavres. » ou encore « L’ambition : tous les endroits de l’univers fument encore des feux qu’elle y a allumées[10]. »

De nombreux artistes se sont essayés à peindre l’ambition, à lui donner un visage.

Ainsi de BALZAC qui créa la figure romanesque d’Eugène de RASTIGNAC. Symbole de l’ambitieux, de l’arriviste, prêt à tout pour parvenir à ses fins. Le terme est même passé dans l’usage commun. « C’est un Rastignac ! » dit-on parfois pour parler d’un jeune loup aux dents longues. Nous en avons tous connu dans nos différents milieux professionnels. Certains ont même parfois contribué à nous pourrir l’existence… De l’homme d’Etat au particulier, il est toujours question de pouvoir quand on parle d’ambition.

L’Italien Cesare RIPA (≈ 1555 – 1622)[11] fut célèbre en son temps pour l’Iconologia (1593) [12]livre d’emblèmes qui influença grandement son époque. La décoration du Palais de Versailles s’inspirera de cet ouvrage, en particulier la Galerie des Glaces.

Ainsi, le site web de la Galerie des Glaces[13] évoque-t-il Cesare RIPA quand, photos à l’appui, il décrit l’allégorie figurant dans la Galerie : « l’Ambition avec un bandeau sur les yeux car elle est un vice à qui manque le discernement ; l’Ambition a un lion auprès d’elle qui démontre que « l’ambition ne va pas sans superbe ». L’allégorie a les poignets liés pour montrer son impuissance ».

Le Franc-Maçon ne peut manquer de faire un lien entre le bandeau sur les yeux de l’ambition et celui couvrant les yeux du profane lors de l’initiation. Le bandeau maintient celui qui le porte dans les ténèbres jusqu’à ce qu’il lui soit ôté le faisant accéder à la lumière, au discernement.

Francs-Maçons ! Gardons-nous de toute ambition de cette nature ! Le désir de pouvoir est un sentiment profane. Quel pouvoir ? Une illusion du pouvoir ! Vanité ! Oui, ayons du pouvoir mes FF \et mes SS \ ! Qu’il s’agisse du pouvoir de l’amour, de la compréhension, de la maîtrise de soi, de la tolérance… Vaste programme ! Ce sont de belles paroles, écrites confortablement assis à mon bureau avec du HAENDEL, du MOZART (un F \), du VIVALDI, du HAYDN (encore un F \) ou du MONTEVERDI dans les oreilles… Je suis malheureusement bien loin de ce pouvoir sur moi-même… Arriverais-je jamais à cette maîtrise ? Je l’ignore. Parfois, j’en doute fortement… Pour autant, c’est un objectif louable que de poursuivre cette quête… Je m’y attèle avec toutes mes imperfections, toutes mes faiblesses mais aussi avec mes quelques qualités.

On vient de le voir, l’ambition, dans cette acception, est connotée très négativement. Pour autant, ne jetons pas l’ambition aux orties ! Elle peut être source de progression et d’amélioration. Cela nous concerne mes FF \ et mes SS \ ! Quelle est donc l’ambition du Franc-Maçon ?

II. L’ambition du Franc-Maçon : l’initiation dans l’humilité contre l’orgueil

Je ne veux pas dire ici que seul le Franc-Maçon est capable de connaitre cette autre forme d’ambition connotée plus positivement, ce désir « de réaliser de grandes choses, en y engageant sa fierté, son honneur. » Pensons en effet à tous les bienfaiteurs de l’humanité (PASTEUR, etc.) qui devaient être animés par une louable ambition, celle de soulager l’humanité souffrante. Cependant, je pense que le Franc-Maçon, parce qu’il a choisi la voie initiatique pour progresser, dispose, peut-être mieux que d’autres, des clés pour se défaire de l’emprise de cette ambition néfaste pour accéder à une autre forme d’ambition.

L’initié doit être ambitieux, il doit faire preuve d’un désir profond de soumettre sa volonté, de travailler à « élever des temples à la vertu et creuser des cachots pour les vices. »

Il n’est donc pas question de vouer aux gémonies toute forme d’ambition ! L’ambition est nécessaire et inhérente à la nature humaine, toujours en mouvement, en ébullition. Agissant comme un aiguillon, elle permet aux hommes de se fixer des objectifs, et finalement, de rester vivants. L’ambition peut donc être source de progrès.

Mais, revenons à l’évêque de Meaux. Après avoir exposé l’origine de l’ambition, BOSSUET, poursuivant son sermon à l’adresse des Chrétiens, prodigue ses conseils pour s’en affranchir, insistant sur le pouvoir de la volonté. Francs-Maçons, cela nous intéresse, nous qui travaillons à soumettre notre volonté, à nous rendre maître de nous-mêmes : « (…) reconnais enfin cette vérité, que, si c’est une grande puissance de pouvoir exécuter ses desseins, la grande et la véritable, c’est de régner sur ses volontés ». / « Celui-là sera le maître de ses volontés, qui saura modérer son ambition » / « (Dieu) enseigne à ses serviteurs, non à désirer de pouvoir beaucoup, mais à s’exercer à vouloir le bien ; à régler leurs désirs avant que de songer à les satisfaire ; à commencer leur félicité par une volonté bien ordonnée, avant que de la consommer par une puissance absolue ».

William SHAKESPEARE a mis ces paroles dans la bouche de Iago, l’un des personnages du drame « Othello » : « Il ne tient qu’à nous d’être ceci ou cela. Notre corps est notre jardin, et notre volonté en est le jardinier. (…) Le pouvoir de tout modifier souverainement est dans notre volonté. (…) Nous avons la raison pour refroidir nos passions furieuses, nos élans charnels, nos désirs effrénés[14]. »

Ces propos ne nous sont pas étrangers mes FF \ et mes SS \ !

On l’a dit, l’ambition est une notion ambivalente. Elle peut tout aussi bien s’allier avec l’humilité ou avec l’orgueil.

L’humilité : c’est avancer dans le doute, (au sujet duquel Paul Henri THIRY D’HOLBACH écrivait que : « Moins un homme sait, plus il tient à ce qu’il croit savoir. Un ignorant ne doute de rien ; le doute est toujours le premier pas vers la sagesse[15] »), dans le questionnement, avec la conscience de ses propres limites, de ses forces et de ses faiblesses, de son imperfection mais de sa perfectibilité, en somme, de son humanité… Le Franc-Maçon sait qu’il pourra compter sur le soutien de ses FF\et SS\ Cela n’empêche pas le Franc-Maçon de souhaiter accomplir de grandes choses, à commencer par bâtir son propre temple intérieur, mais il le fera alors avec bienveillance et empathie et non plus avec le désir de se servir des autres pour arriver à ses fins.

L’orgueil : c’est avancer dans la suffisance, dans l’arrogance, dans la certitude, dans l’absence de remise en question, dans le projet d’utiliser autrui pour parvenir à ses fins. John MILTON parlait de « Ces désirs désordonnés, enflés d’opinions hautaines qui engendrent l’orgueil[16]. » L’amertume guette l’ambitieux orgueilleux, insatiable, qui, pour de multiples raisons, ne parviendra pas à ses fins. Finalement jamais satisfait, courant toujours après l’objet de ses désirs. Charmante perspective !

Il fut écrit que le Franc-Maçon « doit être bon, juste, digne, dévoué, courageux, exempt d’orgueil et d’ambition, affranchi de tout préjugé et de toute servitude, prêt à tous les sacrifices pour l’accomplissement de son Devoir, le triomphe du droit et de la Vérité. » L’apprenti n’ambitionne ainsi qu’« à l’honneur d’être admis parmi les Compagnons. » Il s’en remet au jugement de ses FF \ et SS \ qui en décideront.

Finalement, les seules questions qui vaillent la peine de se poser dans le huis clos de sa conscience (V.I.T.R.I.O.L., Perpendiculaire) : fais-je du bien à mes FF\ et à mes SS \, à mes proches, à la société, à l’humanité ? Ne suis-je pas en train de satisfaire mes désirs aux dépens d’autrui ? En tentant de les assouvir, ne suis-je pas en train de nuire aux autres ? L’initié doit se caractériser par son sens aigu des responsabilités.

Pour clore cette seconde partie, voici un extrait du premier discours de Andrew Michael RAMSAY dit Chevalier de RAMSAY[17] prononcé le 26 décembre 1736 au sein de la Loge Saint-Thomas à Paris… : « Nous voulons réunir tous les hommes d’un goût sublime et d’une humeur agréable par l’amour des beaux-arts, où l’ambition devient une vertu, où l’intérêt de la confrérie est celui du genre humain entier, où toutes les nations peuvent puiser des connaissances solides, et où les sujets de tous les différents royaumes peuvent conspirer sans jalousie, vivre sans discorde, et se chérir mutuellement. »

Comment cette ambition peut-elle se muer en vertu chez le Franc-Maçon ? Examinons la chose dans cette 3ème et dernière partie.

III. Les outils et symboles de l’Apprenti Maçon pour « transformer l’ambition en détachement »[18]

Tout dans la Maçonnerie nous éloigne de l’ambition profane… Nous travaillons à soumettre notre volonté, et partant, à transformer l’ambition en détachement…

Comment pouvons-nous y parvenir ? : Grâce à la méthode maçonnique.

Notre F \ Henri TORT-NOUGES a écrit que « La franc-maçonnerie ne prétend pas nous apporter en quelque domaine que ce soit une vérité totale, absolue et définitive, car l’homme n’est qu’un homme, fini, imparfait et souvent aveugle. Mais ce même homme est aussi tension, désir d’infini et de perfection. Dés lors, sa fonction est de lui apporter une méthode pour l’éclairer, de lui indiquer une direction, de lui montrer un chemin, et de susciter en lui une espérance[19]. »

Nos outils et nos symboles participent de cette méthode maçonnique.

Nos tableaux de Loge au grade d’Apprenti contiennent tous les outils et les symboles nécessaires au Franc-Maçon pour s’affranchir de l’ambition profane. Arrêtons nous sur certains d’entre eux sans volonté d’exhaustivité.

Commençons par les outils de l’apprenti : le maillet et le ciseau, auxquels s’ajoute la règle au REAA.

Par le Maillet et le Ciseau : Le pouvoir de la volonté mise en action par l’Initié après avoir muri sa réflexion, après avoir arrêté ses résolutions. A force de travail et de patience, la pierre brute sera pierre taillée, l’ambition profane et déréglée sera maitrisée et dominée.

Par la Règle à 24 divisions : rappelant le cycle solaire, chacune des heures de l’Initié doit être bien employée ; sans règle, le chaos ; instrument de tracé, emblème de la rigueur, de la droiture, de la mesure, la règle inspire le Franc-Maçon dans son comportement quotidien. Sans règle, l’anarchie des passions, les errements de l’ambition…

Par l’Equerre et par le Compas, l’Initié dispose des outils pour faire taire l’ambition profane qu’il porte en lui ; par le Compas, instrument de création, de mesure, il pourra concevoir le plan ; par l’Equerre, emblème de la rectitude, de la rigueur, du droit, réunion de l’horizontale et de la verticale, il pourra vérifier sa juste exécution[20].

Par la Perpendiculaire (outil de vérification de la verticalité) : l’Initié descend et remonte en lui-même pour juger son attitude et ses désirs. A la recherche de la droiture, de l’équilibre, le Franc-Maçon s’efforce de mettre en œuvre la formule alchimique : V.I.T.R.I.O.L (Visita interiora Terrae rectificando Invenies Occultum Lapidem).

Par le Niveau (outil de vérification de l’horizontalité) : à quoi bon vouloir absolument exercer un pouvoir sur les autres, obtenir la gloire et la puissance ? Vaine satisfaction d’un ego non maitrisé ! Ce désir des honneurs, de la gloire, de la puissance, de la distinction est l’un des grands moteurs de l’humanité. Je suis lucide : je ne suis pas exempt de cette tentation ! La reconnaissance et les honneurs (une médaille par exemple[21]) flattent l’ego mais la chute et les coups du sort ne sont jamais bien loin et ramènent l’oublieux sur terre.

Le Niveau nous rappelle que l’égalité de tous en dignité et en droits est l’un des principes fondateurs de notre République, et l’une des conditions de la vie en démocratie[22]. Il fut superbement écrit qu’ « A la porte du Temple maçonnique, chaque Frère dépose les titres dont l’a revêtu la vie profane : il ne se décore que des insignes de son grade. Ainsi, l’équitable niveau rend chacun à soi-même et fait de tous des Frères. »

Alors, oui, je l’ai dit plus haut, soyons ambitieux, ayons du pouvoir, soyons maitres de nous-mêmes, rayonnons sur le monde qui nous entoure par l’exemple de nos qualités !

Par le Signe qui réunit équerre, niveau et perpendiculaire, l’Initié met en œuvre physiquement une fructueuse synthèse porteuse de sens.

Par le Pavé mosaïque : composé de pavés blancs et noirs étroitement liés les uns aux autres, il m’apparait comme symbolisant la blanche et saine ambition de l’initié (en évitant l’orgueil de celui qui croit savoir ou qui se prend pour un éminent représentant de l’élite) s’opposant à la noire et néfaste ambition du profane (pouvoir, gloire, argent, …). La bordure dentelée nous offre l’image de la lumière repoussant les ténèbres… Un pavé blanc cerné de pavés noirs ; un pavé noir cerné de pavés blancs… Le pavé mosaïque nous indique aussi de garder à l’esprit que la menace demeure toujours présente en nous : l’homme n’est-il pas son pire ennemi ? Souvenons-nous d’un épisode marquant lors de notre initiation !

Par le Delta Lumineux, à l’Orient, par la Lumière dissipant les Ténèbres : contenant en son centre l’œil de la conscience et de la sagesse, ce symbole doté d’une grande puissance évocatrice doit sans cesse guider l’initié dans sa quête personnelle d’amélioration et de progression.

Par la formule enjoignant l’Initié de « Laisser les métaux à la porte du Temple » qui symbolise l’abandon de tout ce qui caractérise le monde profane, de tout « ce qui brille d’un éclat trompeur », y compris l’ambition, l’orgueil, la vanité…

Par les quatre éléments purifiant le profane afin de l’amener à un nouvel état, celui d’initié, l’impétrant sera symboliquement débarrassé de toute ambition profane (abandon des métaux).

Par les deux Colonnes, à la porte d’occident, dont le passage marque l’entrée dans un monde sacré où l’ambition profane n’a pas lieu d’être, n’a plus lieu d’être… ne devrait plus avoir lieu d’être… Ayons l’ambition d’être de bons ouvriers et de recevoir notre salaire au pied de notre Colonne !

Par la corde à nœuds (lacs d’amour) circulant autour du Temple et par les Grenades surmontant les deux Colonnes, l’Initié comprend l’importance de la Fraternité qui rapproche quand l’ambition isole.

Par le Soleil et par la Lune : sous l’influence de la raison chaude et éclairante et de l’imagination sensible, l’Initié a tous les atouts pour mettre en œuvre ses outils symboliques.

Par la Voûte étoilée : sous les cieux étoilés, l’Initié se trouve face à l’immensité de l’Univers ; il comprend l’humilité, il mesure la vanité de la gloire, des honneurs et de la puissance. //  Symbole de la brièveté de la vie, le crâne peut également lui rappeler ces vérités.

Enfin, par les trois piliers symboliques de la Franc-Maçonnerie qui peuvent également être une source d’inspiration pour l’initié :

  • La Sagesse nécessaire pour se détacher du monde profane et de son moteur essentiel, l’ambition.
  • La Force de caractère pour travailler sur soi-même à éradiquer ce désir de gloire, cette soif de puissance.
  • La Beauté de ce monde fraternel où l’ambition profane destructrice a été bannie.

Conclusion

« Ils répandront les vérités qu’ils ont acquises ; ils feront aimer notre Ordre par l’exemple de leurs qualités, ils prépareront par une action incessante et féconde l’avènement d’une Humanité meilleure et plus éclairée[23]. »

Vous l’aurez compris : je ne mets pas au rebut l’ambition. Tout au plus, dis-je que nous, Maçons, ne pouvons nous comporter comme de simples profanes, comme si notre méthode, comme si tous nos travaux, comme si tous nos efforts ne servaient finalement à rien.

Ne renonçons pas à l’ambition mais colorons là du respect des autres et de soi-même pour en faire un facteur de progrès, d’amélioration de nous-mêmes et de l’humanité.

Nous travaillons en Loge dans un espace-temps différent de celui du monde profane. Les lumières acquises à l’intérieur du Temple, dans cet espace-temps sacré, doivent être propagées à l’extérieur. C’est le rôle du Franc-Maçon.

Mais, justement, que signifie cet espace-temps ? En quoi est-il sacré ?

Cette notion fondamentale méritera certainement que l’on s’y arrête un jour prochain…


[1] François – René CHATEAUBRIAND (1768 – 1848), « Mémoires d’Outre Tombe » (éditions Livre de Poche, 1988, tome 1, p. 145)

[2] Définition fournie par le Centre national de ressources textuelles et lexicales (www.cnrtl.fr).

[3] John MILTON (1608 – 1664), « Le paradis perdu » (traduction de F-R de Chateaubriand), éditions Gallimard, nrf Poésie.

[4] En hébreu, Satan se traduit par « Adversaire » ; résultat de sa rébellion contre Dieu, Satan perd son nom « Lucifer » (« le porteur de Lumière »).

[5] Mais, finalement, est-ce une punition que de créer de la richesse par la multiplicité ?

[6] BOSSUET, « Sermons, le Carême du Louvre », Folio classique (2001)

[7] Jacqueline de ROMILLY « Alcibiade, ou les dangers de l’ambition », Texto, éditions Tallandier 2008.

[8] Victor HUGO, « Les Châtiments », « L’expiation, V » (1853) in « Morceaux choisis de V. HUGO, poésie », Librairie Delagrave, 1962

[9] Paul Henri THIRY D’HOLBACH, « Catéchisme de la nature » in «Œuvres philosophiques 1773 – 1790 », éditions Coda, 2004, pages 835-836

[10] Claude Adrien HELVETIUS, « Réflexions sur l’homme et autres textes », éditions Coda, 2006

[11] Cf. Wikipédia, l’encyclopédie libre : http://fr.wikipedia.org/wiki/Cesare_Ripa

[12] Cf. http://bibliotheque-numerique.inha.fr/collection/8625-iconologie-ou-explication-nouvelle-de-p/?n=1

[13] Cf. http://www.galeriedesglaces-versailles.fr/html/11/selection/page_notice-ok.php?myPos=1&compo=c34

[14] William SHAKESPEARE, « Othello » (1601 – 1602), acte 1, scène 3 (édition Livre de Poche, p. 176).

[15] Paul Henri THIRY D’HOLBACH, « Système social » (1773) in «Œuvres philosophiques 1773 – 1790 », éditions Coda, 2004, page 282.

[16] « Le paradis perdu », livre IV.

[17] Andrew Michael RAMSAY (né le 9 janvier 1686 en Écosse et mort le 6 mai 1743 à Saint-Germain-en-Laye).

[18] Irène MAINGUY « La symbolique maçonnique du 3ème millénaire », éditions Dervy (2006), page 389.

[19] Henri TORT – NOUGES (1921 – 2001), « L’idée maçonnique », éditions Albin Michel poche, collection spiritualités vivantes (1991), p.241. Il fut grand Maître de la Grande Loge de France (1983 – 1985).

[20] Ces vertus ont inspiré l’anonyme qui inscrivit ces mots sur une équerre qu’il dissimula dans l’un des piliers du pont de Baal à Limerick en Irlande : « I will strive to live with love and care upon the level, by the square » (inscriptions sur une équerre datant de 1507 découverte en 1830 lors des travaux de restauration du pont).

[21] Napoléon (qui créa l’ordre de la Légion d’Honneur) : « On prétend que la Légion d’Honneur est un hochet. Eh bien, c’est avec des hochets que l’on mène les hommes. » Ceci dit, je ne suis pas de ceux qui raillent ces médailles qui, la plupart du temps, récompensent les mérites des récipiendaires. En revanche, on ne peut que déplorer les basses manœuvres que certains déploient dans le but de se faire attribuer une médaille.

[22] Même si, malheureusement, cette égalité de droit ne semble que de façade tant les inégalités de fait restent criantes.

[23] Superbe formule de fermeture des travaux au Rite Français, citée dans « Histoire illustrée du Rite Français » de Ludovic MARCOS (éditions Dervy, collection l’Univers Maçonnique, 2012, page 116)

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