Qui était Janusz Korczak?

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 S:. Alice Dworak

Varsovie, le 18 avril 2019 (E:.V:.)

Le docteur Janusz Korczak fut un homme tellement hors du commun, que le qualifier simplement « d’extraordinaire » serait largement en dessous de la vérité. Sa biographie présentant l’homme et le maçon qu’il était ayant été déjà présentée dans notre Bulletin International, je me limiterai à retracer les grandes lignes de sa silhouette par un court rappel. Sa vie étant largement connue, j’écris ces quelques réflexions afin de tracer schématiquement, un résumé de sa biographie afin de répondre à la question qui nous préoccupe, « en réalité, qui était cet homme ? ». Comment était-il perçu, et ce, plus précisément par ceux qui ont été fascinés par sa grandeur, par une des plus grandes figures humanistes et aussi comment s’est-il vu lui-même ?

Janusz Korczak est né à Varsovie en 1878, (son vrai nom était Henryk Goldsmith), dans une famille bourgeoise et cultivée. Son père était un avocat renommé tout comme son oncle qui, en plus d’être un avocat était occasionnellement un journaliste. Le jeune Henryk adolescent était passionné de poésie, et a l’âge de 20 ans il publia son premier texte signé Korczak. Pseudonyme qui restera par la suite. Il étudia la médecine dans trois villes d’Europe (Varsovie, Berlin et Paris) en y fréquentant les milieux progressistes et affichera déjà à cette époque, les idées d’égalités entre les hommes et les femmes ainsi que le droit de l’enfant au respect, a la parole et a l’éducation. Très jeune, il fonde l’orphelinat juif de Varsovie.

Parmi ses œuvres littéraires, on en  trouve un grand nombre qui a été consacré à la pédagogie et aussi des contes et romans pour les jeunes. À partir de l’année 1911, il a abandonné la médecine privée et a pris la direction de deux orphelinats dont un juif à Varsovie.

Dans le domaine pédagogique, l’œuvre de Janusz Korczak rentre en droite ligne dans le nouveau courant de « la pédagogie active » et de l’École Nouvelle. Ce courant se situe dans la lignée des travaux de Pestalozzi en Suisse, de Montessori, de Decroly, de F. Deligny, de l’École de Summerhill, et fut l’origine d’une inspiration nouvelle pour de nombreux éducateurs et d’enseignants.

Son système éducatif comprendra, entre autres, la création avec les adultes et les enfants, d’un modèle de la vie communautaire, régit par un contrat social basé sur des lois, des devoirs élaborés ensemble, en engageant et responsabilisant tous.

Malheureusement, un matin d’août 1942, Janusz Korczak, est parti de son plein gré du petit Ghetto de Varsovie pour accompagner les enfants de l’orphelinat qui avaient rendez-vous avec la Mort à Treblinka. Il les a accompagnés en leur montrant tout son amour et en leur apportant un dernier sentiment d’humanité. Fidèle a ses principes, avec eux, il a partagé leur dernier voyage s’efforçant de les emmener dignement jusqu’à la fin de ce chemin sans retour, tout en s’efforçant, par son sacrifice, d’adoucir les dernièrs instants de leurs vies.

Pouvons répondre à cette simple question ? « Qui était Janusz Korczak ? »

Est-il possible de qualifier un personnage pareil ? Pédiatre bien sûr, pédagogue, journaliste, écrivain, Mais encore ? Il nous faut l’avouer : nous ne savons rien de l’essence de son être profond.

C’était un homme simple, à un tel point que son inébranlable droiture en a fait un être énigmatique, aux  multiples facettes. Pour comprendre un tant soit peu la complexité de cet Homme hors normes, il conviendra de rassembler la connaissance que nous avons de KORCZAK avec les visions qu’avaient les autres de lui.

Après ses études il décrocha son diplôme de médecine et fut rapidement enrôlé dans l’armée comme officier médecin. L’armée russe l’envoya alors sur le front japonais comme médecin chef du train sanitaire. Après de nombreuses péripéties, on pourrait citer une décision prise par Korczak en 1914, qu’il a révélée dans une lettre en 1937 :

 « Je me souviens du moment où j’ai décidé de ne pas établir ma propre famille. C’était dans un parc près de Londres quand j’ai compris qu’un esclave n’a pas le droit d’avoir des enfants et que je n’étais qu’un Juif polonais sous la domination tsariste. Et dès que cette révélation germa dans mon esprit, j’ai senti que je me suicidais. C’est alors, avec force et vigueur que j’ai mené ma vie, qui me sembla tout à coup très désordonnée, solitaire et étrangère. En tant que fils, j’ai choisi l’idée de servir l’enfant et sa cause. »

Ou est-ce simplement la recherche d’un alibi pour un amour inassouvi pour une femme ? Nous ne le saurons  jamais, et pourtant un certain fragment de son journal intime donne beaucoup à réfléchir :

« À la loterie de la vie, j’ai gagné les enjeux. Mais j’ai perdu la chance de gagner le prix principal, un prix important – c’est dommage. On m’a rendu à juste titre ce que j’avais exposé. La solitude ne fait pas mal. J’apprécie les souvenirs ». Nous ne pouvons que deviner ce que cela signifie.

Dès lors, il a voué sa vie aux services les enfants, malgré l’opposition de ses détracteurs qui n’avaient rien compris et qui avaient contesté ses méthodes pédagogiques. Néanmoins, il continua et écrivit un jour :

« Un poète c’est un homme qui est joyeux et peiné, il se fâche facilement et il aime sans concessions, mais aussi il ressent tout très fort et peut facilement s’émouvoir ou compatir. Et les enfants eux aussi sont comme ça ». Et comme pour clore toute sa pratique pédagogique il déclare : « Une de plus grandes erreurs serait d’imaginer que la pédagogie est une science dont l’objet est l’enfant et non pas l’homme ».

Il est incontestable que le Vieux Docteur était un des très rares hommes à avoir trouvé une des meilleures approches éducatives et compréhensives des enfants, en ressentant le sens du devoir et un amour incommensurable pour eux.

Une des pupilles qui fut ensuite l’employée de l’orphelinat a écrit un très émouvant témoignage en racontant la simplicité du « Docteur » dans sa vie au quotidien parmi ses enfants orphelins. Il s’agit de l’article qui est paru dans une revue mensuelle « KULTURA » à Paris en 1982 intitulés « Pan Docteur » signé Dora Borbrige, Melbourne (Australie).

Dora Borbrige décrit ainsi : Janusz Korczak :

« Dans la vie de tous les jours, le « Pan Docteur » était pour nous un père, un protecteur et un enseignant. Il avait le temps pour tout le monde mais avant tout, il avait cette affection paternelle pour chacun d’entre nous. Il distribuait des bisous et dans ses mains, toujours chaleureuses, il serrait contre lui les enfants. L’éducation dans l’orphelinat c’était l’apprentissage de l’honnêteté de la vérité et la justice, en somme la bonté… Je me souviens des efforts de « Pan Docteur » afin de nous inculquer le respect pour chaque travail que nous faisions. Le samedi, il nettoyait Lui-même les escaliers, ainsi que les chaussures des enfants et il appelait cela : « l’ordre, la brillance et l’élégance. »

« Pan Docteur » était toujours assis à table avec les enfants ainsi que tout le personnel et c’était vraiment passionnant d’être à côté de lui, car il nous racontait la guerre japonaise, et nous décrivait les personnages qu’il avait rencontrés au cours de sa vie ».

Ensuite Dora Borbrige raconte dans son article la guerre, la faim, les incroyables efforts du Docteur pour trouver la nourriture et s’assurer qu’elle ne nourrira que les enfants. Son témoignage reflète une des facettes de cette personnalité multiple que nous cherchons à connaître.

Malgré cela, ils sont encore nombreux, ceux, qui se posent toujours la même question : Mais qui était vraiment cet homme ?

La réponse n’est jamais complète ni satisfaisante, même celle qui nous vient en premier à l’esprit, mais nous pouvons sans hésitation affirmer : C’était UN VRAI MAÇON.

Un écrivain et frère polonais a écrit une belle et originale planche à son sujet, intitulée : « Comment Henryk Goldsmith a élevé Janusz Korczak ». Il dit :

 « Si nous nous transférons dans l’ère contemporaine humaniste et pédagogique, avec les idées et les agissements de Korczak, nous observons un sentiment incertain d’admiration pour quelque chose de naïf et pratique. Pratique, parce que la naïveté adroitement mener contourne les obstacles de la pratique. La distance de ce qui est une pragmatique dans le monde d’aujourd’hui est mesurée par cette naïveté, parce qu’elle est désintéressée, ce qui est rare de nos jours. Mais malgré la distance, nous avons l’impression d’être dans une relation directe avec Korczak, et ce en dépit des années écoulées, des différences culturelles et sociales. Si nous pensons à Janusz Korczak aujourd’hui, alors à ce moment, cet aujourd’hui fait place à cette pensée, qui devient essentiellement une autre, et elle se transforme alors en une expression Korczak’ienne »

Et encore, oh combien juste :

« Nous sommes humiliés de perplexité face à l’être profond de Korczak. Si l’on a des relations avec quelqu’un que l’on aime, on souhaiterait alors que s’accomplisse sur lui un mythe immortel lui permettant d’atteindre l’essence même de l’être humain, sur les traces qu’il a laissé après sa mort. Nous languissons après la possibilité de biographie. Mais est-il possible de réaliser la biographie d’un tel homme, qui vivait en ces temps-là et ces circonstances ? Korczak est possible dans notre conscience. Sa biographie – non, mais nous pouvons la comprendre et pas seulement l’écrire, car nous ne parviendrions jamais à décrire un être pareil, ni l’ajuster à la vie sociétale de notre temps. »

En conclusion, après avoir étudié attentivement les avis, les articles de presse et les planches maçonniques très documentées, je suis obligé d’avouer mon incapacité de répondre avec certitude à la question : qui était Janusz Korczak ?

Néanmoins, en étudiant les nombreuses opinions concernant cette exceptionnelle figure, nous sommes contraints de reconnaitre que Janusz Korczak restera un des grands Hommes humanistes du XX-ème siècle. C’était un exceptionnel pédagogue, un éducateur hors pair, un grand philanthrope, indéniablement un homme de lettres, et surtout un des plus grands protecteurs des enfants et de leurs causes que ce siècle a portés.

Toutefois toutes ses qualités, très largement reconnus et appréciées, ne serait pas complètes, si l’on omet de mentionner son appartenance à la franc-maçonnerie, et de surcroit au Droit Humain. En effet, c’est au Droit Humain avec Maria Deraismes, Marie Béquet de Vienne et d’autres SS\ et FF\ de notre Ordre, que sont aussi nées et discutées certains des idées Korczakiennes qui plus tard, seront exploitées dans la Convention Internationale des Droits de l’Enfant.

En l’année 2003, le Bulletin International No 23 publie l‘article retraçant la vie et l’œuvre de Janusz Korczak et le termine par un constat de ce que font à ce jour les défenseurs de son œuvre :

« Créer en 1980 l’Association suisse des Amis du Docteur Janusz Korczak propage la pensée pédagogique et sociale du « vieux Docteur » et soutient des programmes spécifiques au service des Droits de l’enfant, partout dans le monde, en s’appuyant  sur les principes démocratiques de l’éducation Korczakienne et visant à promouvoir l’apprentissage de la tolérance par la connaissance « de l’autre » dès le plus jeune âge. »

Il serait trop long énumérer tous les pays, toutes les associations, personnalités, écoles, qui rendent l’hommage à Janusz Korczak et qui élèvent les monuments en son souvenir.

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